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Flash Fiscal - juillet 2024

Retrouvez votre dose mensuelle d’actualité fiscale du financement de l’innovation avec l’analyse de la jurisprudence de ce mois de Juillet 2024 par les experts F.initiatives.

Evaluation annuelle du CIR

Tribunal administratif de Lyon, 4ème Chambre, 21/05/2024, SARL 01 Rénovation, 2208881

La décision

La Société SARL 01 RENOVATION exerce, à titre accessoire, une activité d’informatique. Elle a déposé une demande de restitution au titre du Crédit d’Impôt Recherche (CIR) 2021 mais sa demande a fait l’objet d’une décision de rejet par l’Administration.

La Société conteste la décision de rejet de l’Administration et soutient qu’elle a suffisamment justifié l’éligibilité du projet au CIR en présentant une publication de 2015 et des exemples tirés du langage de programmation développé L-GEM, ceci d’autant que son projet était éligible en 2014, 2015 et 2016 et qu’elle a obtenu un agrément pour ses recherches en 2022. 

Le Tribunal administratif donne raison à l’Administration en indiquant que la Société n’a pas suffisamment justifié l’éligibilité de son projet au CIR. Le Tribunal administratif a mis en avant que le projet ne présente pas les mêmes caractéristiques que le projet qui était éligible en 2014, 2015 et 2016 ; ni des recherches pour lesquelles elle a obtenu un agrément en 2022. Il appartenait à la Société de davantage justifier l’éligibilité au dispositif.

L’analyse F.initiatives

Le Tribunal administratif a jugé que la Société n’a pas apporté suffisamment de preuves pour justifier l’éligibilité de son projet au CIR.

Malgré la présentation d’une publication de 2015 et des exemples tirés du langage de programmation L-GEM, le tribunal administratif a estimé que le projet actuel ne présentait pas les mêmes caractéristiques que ceux éligibles en 2014, 2015 et 2016, ni les recherches pour lesquelles un agrément a été obtenu en 2022.

En effet, dans cette affaire, le projet était éligible en 2014, 2015 et 2016 et la Société a obtenu un agrément en 2022.  Seulement, la Société n’a pas suffisamment justifié ni présenté les caractéristiques de son projet au titre de l’état de l’art et du verrou à lever. 

La bonne pratique F.initiatives

Ce jugement réaffirme que la justification de l’éligibilité du projet au CIR est une étape à ne pas sous-estimer. Elle repose sur une évaluation annuelle qui nécessite une justification et une documentation rigoureuses, reflétant l’évolution et l’innovation continues des projets de R&D. Rappelant l’importance de documenter et justifier minutieusement l’éligibilité au CIR chaque année.

Les entreprises doivent être en mesure de démontrer comment les projets en cours s’inscrivent dans les critères d’éligibilité du CIR et comment ils diffèrent ou s’appuient sur les travaux antérieurs pour justifier une nouvelle demande de CIR.

Se fonder sur une éligibilité passée n’est pas un argument suffisant à lui seul pour garantir l’éligibilité future. Il demeure indispensable de présenter avec précision l’état de l’art actuel ainsi que le verrou scientifique et technique qui souhaite être levé avec le projet.

Justification des prototypes

Tribunal administratif de Versailles, 5ème Chambre, 07/05/2024, SARL IMS Médication, 2110370

La décision

La SARL IMS Médication, spécialisée dans la conception, la fabrication, le négoce et la vente en gros de consommables et dispositifs médicaux dans les domaines des services et de la santé, a développé une gamme de piluliers à usage unique, ainsi qu’un produit permettant le remplissage de ces piluliers par les pharmaciens, nommé projet Digiplan.

En mai 2018, la société a déposé une déclaration de Crédit d’Impôt Innovation (CII) et a demandé, en septembre de la même année, le remboursement de son CII, qu’elle a obtenu immédiatement. Cependant, en avril 2019, elle a reçu un avis de vérification pour la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017, remettant en cause le CII en juillet 2019. En 2021, les sommes ont été mises en recouvrement, et la même année, la Société a formé une réclamation contentieuse.

La SARL IMS Médication considère que son pilulier à usage unique constitue un bien corporel nouveau au sens de l’article 244 quater B du CGI, du fait qu’il se compose d’une combinaison de matières composites biodégradables, tout en garantissant une sécurisation optimale. Contrairement aux autres produits sur le marché qui ne garantissent pas l’impossibilité de réouverture des piluliers une fois remplis par les pharmaciens. Le produit se distingue donc par des performances supérieures sur le plan technique et de l’écoconception. Ce dispositif a d’ailleurs été breveté en 2023.

Quant au projet Digiplan, considéré comme éligible au CII, la société soutient que bien que la machine « fabrication P » ait été initialement acquise par la société Medissimo, elle doit être considérée comme acquise à l’état neuf par SARL IMS Médication, dès lors que la société Medissimo ne l’a jamais utilisée.

Cependant, le Tribunal administratif a relevé plusieurs points concernant le projet de pilulier à usage unique. Il a noté que la Société ne fabrique pas les matières utilisées pour le pilulier à usage unique, ne justifie pas avoir réalisé de prototypes, et que le brevet concerne le projet Digiplan détenu par la société Medissimo. De même, la machine « fabrication P » n’aurait pas fait l’objet d’une utilisation dans le cadre du projet Digiplan, mais dans le cadre de la conception du pilulier à usage unique, projet non éligible.

L’analyse F.initiatives

Le jugement concernant la SARL IMS Médication met en lumière les critères d’éligibilité au CII et les exigences en matière de preuves pour bénéficier de ce crédit d’impôt.

La société a dû faire face à des contestations concernant la nature innovante de ses produits, ainsi que sur la justification de la réalisation de prototypes.

La bonne pratique F.initiatives

Ce jugement rappelle la nécessité de garder une trace des prototypes dans le processus de développement de produits. Les tests et prototypes développés pour les produits, ainsi que les résultats obtenus, sont essentiels pour démontrer l’innovation et la recherche effectuées dans le cadre du développement de produits. Ces enregistrements peuvent servir de preuve pour justifier les dépenses de R&D engagées par l’entreprise, notamment dans le cadre du CII.

En gardant une trace complète des prototypes, l’entreprise peut démontrer l’effort de recherche et d’innovation déployé dans le processus de développement de produits. Cela renforce la crédibilité des demandes de crédit d’impôt et fournit des preuves solides en cas de contestation ou de vérification ultérieure.

Éligibilité au CII

CAA de Marseille, 5ème chambre, 31/05/2024, SAS Inithy, 22MA02444

La décision

La CAA de Marseille a examiné la demande de remboursement de Crédit d’Impôt Innovation (CII) pour l’année 2019 de la Société SAS Inithy, spécialisée dans la programmation informatique. La Société a développé un logiciel destiné aux sportifs, coachs et complexes sportifs, combinant un programme sportif et un programme nutritionnel. Les fonctionnalités sont éloignées du coaching professionnel et sont principalement dédiées au running et fitness.

La Société oppose le BOl·BIC-RICl-10-10-45-10.

Cependant, en consultant le tableau comparatif produit par la société, la CAA a constaté que sur les 24 fonctionnalités du logiciel, 20 étaient déjà présentes chez les concurrents. Sur les 4 autres restantes, la Société n’a pas pu fournir d’informations prouvant leur nouveauté. Par conséquent, en l’absence de preuves de caractère innovant, la demande de remboursement a été jugée non recevable.

De plus, la CAA a indiqué que la doctrine opposée par la société n’était pas applicable dans le cadre d’une demande de remboursement.

L’analyse F.initiatives

Cet arrêt rappelle plusieurs points clés concernant l’éligibilité au CII.

La CAA a mis l’accent sur la nécessité pour les entreprises de démonter le caractère innovant de leurs produits. Ici, la majorité des fonctionnalités du logiciel développé par SAS Inithy était déjà disponible sur le marché, ce qui soulève la question de la valeur ajoutée réelle de leur produit.

De plus, l’incapacité de la Société à fournir des informations concernant les 4 fonctionnalités restantes, qui auraient pu être considérées comme innovantes, a été un facteur déterminant dans le rejet de leur demande. Il est essentiel pour les entreprises de préparer une documentation complète et détaillée.

Enfin, la CAA a clarifié que la doctrine opposée par la Société n’était pas pertinente dans le contexte d’une demande de remboursement.

La bonne pratique F.initiatives

Lors d’une demande de CII, il est primordial de réaliser une analyse concurrentielle exhaustive et pertinente. Il faut démontrer que les fonctionnalités développées par l’entreprise ne sont pas déjà présentes chez les concurrents pour justifier le caractère innovant du produit. En effet, pour être éligible au CII, il faut que le produit présenté soit nouveau.


De plus, il faut noter que le BOFiP n’est pas opposable en cas de réclamation contentieuse. Cela signifie que les entreprises ne peuvent pas se baser uniquement sur les publications du BOFiP pour contester une décision de l’administration fiscale. Elles doivent plutôt s’appuyer sur des preuves concrètes d’innovation et une documentation détaillée pour étayer leur demande de remboursement.  

Attention à bien être en mesure de confirmer le caractère nouveau de toutes les fonctionnalités présentent dans le projet. L’absence d’information concernant certaines fonctionnalités conduit à l’inéligibilité.

Délais de reprise et comptabilité informatisée

Tribunal administratif de Nîmes, 3ème Chambre, 31/05/2024, EURL A2SL Holding, 2200687

La décision

La Société A2SL Holding, société tête d’un groupe intégré, opérant dans le secteur informatique, a été soumise à un contrôle de comptabilité pour les dépenses engagées entre 2014 et 2017. La demande de Crédit d’Impôt Recherche (CIR), ainsi que le formulaire 2069-A, pour 2014 ont été déposés en 2017, mais l’administration fiscale a contesté les CIR et rejeté les demandes de remboursement. La société a reçu une proposition de rectification le 30 juillet 2019.

La société a argué que la procédure était irrégulière, car le CIR de 2014 était prescrit et qu’elle n’avait pas bénéficié des garanties prévues par l’article L47 A du Livre des Procédures Fiscales (LPF), qui indique que le contribuable doit être informé des traitements réalisés et de la nature de ces derniers.

Le Tribunal Administratif (TA) a précisé que le délai de reprise pour le CIR de 2014 débutait avec le dépôt du formulaire spécial 2069A, permettant ainsi à l’administration de contrôler le CIR jusqu’au 31 décembre 2020.

En ce qui concerne les traitements informatiques, le tribunal a constaté que seul le CIR avait été examiné. La société avait fourni sa comptabilité sur clé USB en 2019, et l’administration n’a fait qu’un traitement simple des données sans mise en œuvre de traitements quelconques.

L’analyse F.initiatives

Ce jugement révèle que le respect des délais de reprise est crucial. Dans ce cas précis, le Tribunal Administratif a souligné que le délai de reprise pour le CIR de l’année 2014 commençait à partir du dépôt du formulaire 2069-A, ici en 2017, ce qui donnait à l’administration jusqu’au 31 décembre 2020 pour effectuer le contrôle. Si le formulaire 2069-A avait été déposé en 2015, la situation aurait été différente.

Un autre point important est l’application des garanties prévues par l’article L47 A du LPF. La société a contesté la régularité de la procédure en affirmant qu’elle n’avait pas été informée des traitements informatiques réalisés sur ses données, comme l’exige la loi. Cependant, le tribunal a constaté que l’administration s’était contentée de vérifier la concordance des données sans effectuer de traitements complexes, ce qui implique que les garanties de l’article L47 A n’étaient pas applicables dans ce contexte.

Enfin, cette jurisprudence rappelle aux entreprises l’importance de fournir une comptabilité détaillée et accessible, notamment lorsqu’elles soumettent leur comptabilité sur des supports numériques comme une clé USB. La capacité de l’administration à vérifier facilement les informations fournies peut influencer l’issue du contrôle.

La bonne pratique F.initiatives

Il faut bien intégrer que le fait générateur du délai de reprise pour un crédit d’impôt est le dépôt du formulaire 2069-A. Pour rappel, le délai de reprise de l’Administration est la période pendant laquelle l’administration fiscale peut contrôler et rectifier une déclaration fiscale.

En matière de CIR, ce délai court à compter de la date de dépôt du formulaire 2069-A, peu importe l’exercice de rattachement des dépenses en cause. Il permet à l’administration de vérifier les déclarations jusqu’à trois ans après cette date.

Afin qu’elles puissent défendre efficacement leur droit au CIR, il est donc essentiel que les entreprises déposent ce formulaire en temps voulu et conservent une documentation précise et détaillée afin de soutenir leur demande en cas de contrôle.

En cas de remise du FEC (« fichier des écritures comptables »), l’Administration doit tenir informé le contribuable des traitements qui sont effectués et de la nature de ces derniers lorsque des traitements sont réalisés. Des traitements ne sont pas nécessairement réalisés sur le FEC.

CIR et éligibilité des projets

Tribunal administratif de Paris, 2ème Section, 30/04/2024, Société Art et Build Architectes, 2208266

La décision

L’Administration a rejeté la requête en se basant notamment sur l’expertise du MESRI qui indiquait que la Société n’avait pas démontré « l’existence d’une démarche scientifique ou d’un protocole expérimental encadrant l’ensemble de l’opération de recherche et développement et permettant une amélioration substantielle d’un état de l’art, ou le dépassement d’un réel verrou technologique identifié et non un simple développement ou une adaptation des connaissances et des techniques existantes ». Elle a également rejeté la requête en se basant sur les données enregistrées sur le logiciel de suivi-temps qu’elle a comparé avec les données salariales déclarées.

La Société soutenait que ses projets étaient éligibles car ils intégraient une étude scientifique réalisée par un professeur en écologie en collaboration avec le Laboratoire AetB – CNRS et le Musée national d’histoire naturelle et la production d’un résumé sommaire de la démarche.

Par ailleurs, une enquête réalisée avec différents scientifiques avait été réalisée en 2019 postérieurement aux travaux des années litigieuses.

Elle soutient que ses projets sont éligibles au Crédit d’Impôt Recherche (CIR) et que le personnel R&D affecté à ces projets le sont également : elle se base sur les bulletins de salaire de son personnel ou les déclarations annuelles des données sociales.

L’analyse F.initiatives

Les juges ont suivi le raisonnement de l’Administration en rappelant que la seule circonstance qu’un projet puisse intégrer une étude scientifique réalisée par un professeur en écologie en collaboration avec des laboratoires de renom, le CNRS, des Musées ou encore que soit fourni un résumé sommaire de la démarche ne permettent pas d’identifier un objectif scientifique ou de protocole expérimental.

Le TA précise que les projets relèvent d’un travail de réflexion permettant d’allier les projets d’architecture et la préservation de la biodiversité sans lien avec les activités de recherche.

Concernant les dépenses de personnel, les juges ont également suivi le raisonnement de l’Administration en rejetant la demande de la Société en raison de l’absence de cohérence dans les déclarations, l’absence de rigueur et de précisions dans le cadre des suivis-temps.

La bonne pratique F.initiatives

La seule circonstance qu’un projet puisse intégrer une étude scientifique réalisée par un professeur en écologie en collaboration avec des laboratoires, le CNRS, des Musées ne permet pas d’identifier un objectif scientifique ou de protocole expérimental.

De même la production d’un résumé sommaire de la démarche – même avec différents organismes publics tels que des laboratoires – ne permet pas d’identifier un objectif scientifique ou de protocole expérimental.

Un travail de réflexion permettant d’allier des projets d’architecture et la préservation de la biodiversité n’a pas forcément de lien avec les activités de recherche, il faut démontrer la levée du verrou et l’existence d’une incertitude technique.

Attention aux incohérences entre les déclarations présentes dans le logiciel du suivi-temps interne et celles réalisées dans le cadre des déclarations sociales obligatoires : il convient d’être vigilant sur les heures reprises dans ces outils.

Il est conseillé de mettre en place une codification dédiée au temps de recherche afin de pouvoir retrouver des correspondances entre les salariés et leur affectation sur les mêmes projets : avoir un logiciel de suivi temps n’est donc pas suffisant, il doit être rempli minutieusement et un contrôle doit être fait par la Société pour s’assurer qu’il soit rempli correctement par les salariés.

Le simple fait que l’expert du MESRI et le comité consultatif CIR ait reconnu la cohérence des suivis temps ne lie pas l’Administration ou le juge administratif.