Fi Group

Flash Fiscal - juin 2024

Retrouvez votre dose mensuelle d’actualité fiscale du financement de l’innovation avec l’analyse de la jurisprudence de ce mois de Juin 2024 par les experts F.initiatives.

Critères d'une entreprise industrielle et CIR

Tribunal administratif de Paris, 4ème Chambre, 03/05/2024, International Diffusion, 2114483

La décision

La société International Diffusion commercialise des vêtements sous la marque Zyga, qu’elle conçoit dans son atelier parisien. Toutefois, la fabrication des collections est sous-traitée à un sous-traitant lithuanien, UAB Nevezis. La société demeure propriétaire exclusive des matières premières à tous les stades de la production et assume tous les risques liés à la fabrication et à la commercialisation des nouvelles collections.

L’administration fiscale a refusé la demande de remboursement du crédit d’impôt recherche (CIR), estimant que la société International Diffusion ne répond pas aux critères d’une entreprise industrielle éligible. Suite à ce refus, la société a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer le remboursement de cette créance.

Les juges ont examiné les documents comptables, les factures et le contrat liant la société à UAB Nevezis, et ont conclu que les collections de vêtements vendus sous la marque Zyga étaient entièrement fabriquées par l’entreprise lituanienne à partir des dessins, modèles et spécifications techniques fournis par International Diffusion. De plus, les dépenses engagées par la société pour le travail réalisé dans son atelier ne concernaient que la conception de nouveaux produits et la réalisation de prototypes, ce qui ne pouvait être considéré comme ayant un caractère industriel.

La double circonstance invoquée par la société, selon laquelle les vêtements auraient été fabriqués par l’entreprise lituanienne à partir des matières premières sélectionnées et achetées par International Diffusion, et que cette dernière aurait contrôlé le cycle de fabrication de ses modèles et assumé les risques de commercialisation des vêtements, n’a pas été jugée suffisante pour conférer un caractère industriel à son activité.

L’analyse F.initiatives

Bien que la société International Diffusion demeure propriétaire exclusive des matières premières à tous les stades de la production, la seule propriété des matières premières ne suffit pas à conférer à l’entreprise un rôle industriel dans la transformation de ces matières en produits finis.

Assurer le contrôle qualité en interne est également insuffisant pour démontrer le caractère industriel de l’activité. Même si l’entreprise prend en charge cette étape du processus, cela ne suffit pas à établir qu’elle est une entreprise industrielle au sens fiscal du terme.

La bonne pratique F.initiatives

Cette décision souligne l’importance de la participation directe et significative de la société dans les processus de fabrication, conception et développement des produits pour qu’elle puisse être considérée comme une entreprise industrielle éligible au CIR. L’achat de matières premières et le contrôle qualité en interne ne sont pas suffisants pour conférer à l’entreprise le caractère industriel requis pour bénéficier du remboursement du CIR.

 

CIR, dépenses du personnel et veille technologique

CAA de DOUAI, 4ème chambre, 11/04/2024, GEF Industrie, 23D100311

La décision

La société GEF Industrie, spécialisée dans la conception et la fabrication de solvants, dégraissants, lubrifiants, aérosols et produits d’usinage, a participé à un projet de R&D en commun avec la société Green Fluid (cf. la jurisprudence 23DA00310 ci-dessous). GEF Industrie a demandé le remboursement de son crédit d’impôt recherche (CIR) pour l’année 2017 en 2018 et pour l’année 2019 en 2020.

L’administration fiscale a fait appel à un expert pour évaluer l’éligibilité des projets de recherche. Sur les 5 projets de recherche de 2017, la Direction Régionale de la Recherche et de la Technologie (DRRT) a estimé que seuls 3 étaient éligibles, en raison de l’absence de verrou technologique, ainsi qu’une partie des dépenses de veille technologique. Pour l’année 2019, sur 6 projets de recherche, la Direction Régionale des Affaires Recherches et Innovation (DRARI) a estimé que 3 sont éligibles et a remis en cause certains personnels de recherche. Le tribunal administratif (TA) a donné raison à l’administration fiscale. La société a interjeté appel du jugement.

La cour administrative d’appel (CAA) de Douai a constaté, concernant la veille technologique, que la société n’a fourni aucun justificatif de dépenses de veille technologique distinctes. En ce qui concerne les dépenses de personnel, la CAA a estimé que les techniciens de recherche ne sont pas éligibles en raison de leur manque de qualifications. Cependant, le président, a été qualifié, à tort, d’« insuffisamment qualifié pour mener ces travaux » par l’administration, et la CAA souligne, qu’au regard de tout le reste, le président dispose des qualifications nécessaires. Ainsi, le président est éligible car il fait preuve d’une grande expérience dans la société.

L’analyse F.initiatives

La veille technologique doit être rattachée à des projets éligibles pour prétendre à l’éligibilité au CIR. Dans le cas de la SAS GEF Industrie, l’absence de justifications distinctes pour les dépenses de veille technologique a conduit à un rejet de ces dépenses pour le calcul du CIR.

La décision met également en évidence le besoin d’un suivi pour justifier les dépenses personnelles liées aux projets de recherche et développement (R&D). Il est souligné que l’affectation d’un directeur à temps plein sur un projet de R&D nécessite un suivi adéquat pour justifier cette allocation de ressources. Il est important de démontrer que les qualifications adéquates sont présentes pour le personnel de recherche, et que les affectations de ressources sont conformes aux exigences établies pour prétendre à l’éligibilité au CIR.

La bonne pratique F.initiatives

Cette décision met en évidence l’importance de fournir des justifications distinctes pour la veille technologique, ainsi que l’exigence de qualifications adéquates pour le personnel de recherche afin de prétendre à l’éligibilité au crédit d’impôt recherche (CIR).

 

Recherche partenariale et CIR

CAA de DOUAI, 4ème chambre, 11/04/2024, Green FLuid, 23DA00310

La décision

La société Green Fluid est spécialisée dans le développement et la commercialisation de solvants, dégraissants, lubrifiants, aérosols et produits d’usinage. Elle a participé à un projet de R&D en commun avec la société GEF Industrie (cf. la jurisprudence 23DA00311 ci-dessus). Green Fluid a demandé le remboursement de son crédit d’impôt recherche (CIR) pour l’année 2019.

L’administration fiscale a consulté la Direction Régionale des Affaires Recherches et Innovation (DRARI) pour évaluer l’éligibilité des projets de recherche. La DRARI a estimé qu’aucun des 4 projets n’était éligible au CIR et que certains des personnels n’avaient pas les compétences pour être valorisés. Le tribunal administratif (TA) a donné raison à l’administration fiscale. La société a interjeté appel du jugement.

La cour administrative d’appel (CAA) de Douai a confirmé l’inéligibilité des projets en raison d’une absence de verrou technologique avec une absence de nouveauté, d’innovation, de nouveaux développements et aucune dissémination à l’attention de la communauté scientifique. La CAA a aussi constaté une inadéquation entre les qualifications des membres ayant pris part aux opérations et le volume horaire mis en œuvre, y compris pour le Directeur Général pourtant validé dans le cadre de ses travaux avec GEF Industrie.

La CAA a rejeté la demande de remboursement de CIR de la société Green Fluid.

L’analyse F.initiatives

L’inéligibilité des projets de la société Green Fluid relève de la nature partenariale du travail de R&D qu’elle a mis en œuvre avec la société GEF Industrie. Dans le cadre de cette recherche partenariale, dirigée par la même personne dans les deux sociétés, chaque société doit pouvoir prouver l’éligibilité de sa recherche individuellement.

En effet, l’éligibilité R&D ne s’analyse pas sur la base de l’ensemble du projet, mais à l’échelle des travaux menés par chaque société de manière distincte. C’est la raison pour laquelle un projet peut être jugé admissible pour une entreprise et non pour une autre, ou encore, pourquoi un projet collaboratif peut être considéré admissible dans son ensemble, mais pas pour les entreprises individuellement.

La bonne pratique F.initiatives

Dans le cadre d’une demande de CIR, en cas de recherche partenariale, il est essentiel de mettre en place une gestion rigoureuse.

Chaque société impliquée dans un projet de recherche partenariale doit être en mesure de prouver l’éligibilité de sa recherche de manière individuelle. Cela signifie que les critères d’éligibilité pour le CIR doivent être respectés par chaque entité de manière distincte, indépendamment des autres partenaires.

 

Embauche de Jeunes Docteurs

Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 31/05/2024, Awalee Consulting, 4   476354

La décision

La société Awalee Consulting a embauché deux personnes qui ont eu leur doctorat plusieurs mois après leur embauche en CDI. Aucun avenant au contrat de travail n’a été signé une fois leur doctorat obtenu. Dans le cadre d’une demande de restitution de son Crédit d’Impôt Recherche (CIR), l’Administration a remis en cause le bénéfice du dispositif Jeune Docteur du fait de l’absence d’avenant.

Le Conseil d’État vient contredire l’Administration en considérant qu’il est possible de bénéficier du dispositif Jeune Docteur dès lors qu’un CDI a été signé même antérieurement à l’obtention du doctorat. Il indique alors que la société pourra bénéficier du dispositif à compter de la date d’obtention des doctorats, et ce pendant les 24 premiers mois à compter de la conclusion du contrat de travail.

L’analyse F.initiatives

La décision du Conseil d’État concernant la société Awalee Consutling ne modifie pas la doctrine (BOFIP), ni la loi sur le dispositif Jeune Docteur dans le cadre du CIR. Ces textes prévoient une durée d’éligibilité de 24 mois à partir du 1er CDI signé, après l’obtention du diplôme de doctorat. La notion de premier recrutement est précisée comme étant le premier CDI signé après l’obtention du doctorat.

Dans cette décision, la société Awalee Consulting, a embauché en CDI deux personnes qui ont obtenu leur doctorat après embauche.  L’administration demandait qu’un avenant soit signé mais le Conseil d’État a statué que ce n’était pas nécessaire, les critères énoncés dans le CGI et le BOFIP étant suffisamment clairs.

Ainsi, dans le cas où un Jeune Docteur signe un CDI avant l’obtention de son doctorat, deux situations ressortent concernant les avenants :

  • Avenant ou date fixée dans le contrat de travail : Si un avenant ou une date est fixée dans le contrat de travail, la date de prise d’effet sera celle prévue par l’avenant ou dans le contrat de travail.
  • Aucun avenant signé suite à l’obtention du diplôme : Si aucun avenant n’a été signé suite à l’obtention du diplôme, il sera possible de se prévaloir de la décision pour bénéficier du dispositif Jeune Docteur. Dans ce cas, la date de prise d’effet sera celle de l’obtention effective du diplôme.

 

N.B. Le BOFIP (Bulletin officiel des finances publiques) s’applique toujours et prévoit que la date d’obtention du doctorat corresponde à la date de la soutenance de thèse, indépendamment de la date à laquelle le diplôme est formellement délivré par l’école doctorale. Le BOFIP est par ailleurs opposable à l’administration en cas de redressement. Il n’est pas opposable en cas de refus de demande, par exemple en cas de refus de remboursement immédiat de créance.

La bonne pratique F.initiatives

Sur la base de cette décision du Conseil d’Etat, il ressort deux alternatives en ce qui concerne le statut Jeune Docteur :

  1. Jeune docteur déjà diplômé au moment de l’embauche : Dans ce cas, rien ne change, et le statut Jeune Docteur court à partir du début du contrat.
  2. Jeune docteur diplômé après l’embauche : Bien que la décision du Conseil d’Etat permette de faire valider le dispositif si toutefois un avenant n’avait pas été signé, la signature d’un avenant est préconisée si le Jeune Docteur serait déjà en CDI. Le statut de Jeune Docteur se déclenche à compter de la date d’obtention du doctorat et court jusqu’à la fin du 24ème mois suivant son premier recrutement. Cela correspond à la période pendant laquelle le double des dépenses de personnel afférentes à ces salariés est pris en compte.

 

Pour clarifier, si une personne est embauchée en CDI le 1er juin 2024 et obtient son doctorat le 1er août 2024, le statut de Jeune Docteur ne sera valide que pendant 22 mois (soit jusqu’au 1er juin 2026). Selon l’arrêt du Conseil d’Etat, c’est bien cela, à condition que le Jeune Docteur obtienne son doctorat dans les 24 mois suivant son recrutement.

Cet arrêt reconnaît la possibilité de ne pas signer un avenant pour matérialiser le changement de position du jeune docteur, et reconnaît que le CDI initial, pendant la période de « transition » de régime, ne peut être reproché à l’entreprise. Il est cependant recommandé de favoriser le recrutement de jeunes docteurs dont la date de soutenance est prévue dans l’année civile.