I. DAC 6 : Impacts sur le CIR
La DAC 6 en deux mots : Dans le cadre de la réglementation européenne, la directive DAC 6 a vu le jour en mai 2018 avant d’être transposée aux articles 1649 A à 1649 AH du Code Général des Impôts. L’objectif est d’identifier les cumuls d’avantages fiscaux transfrontières (c’est à dire entre la France et un autre Etat). Une obligation déclarative peut donc, sous certaines conditions, peser soit sur le contribuable, soit sur son conseil. |
1. Périmètre d’intervention de la dac 6
Par commodité et pour simplifier la lecture, nous continuerons à nous référer à la « DAC 6 » même si la directive a été transposée en droit français.
La nécessité d’un dispositif transfrontière
L’article 1649 AD du Code Général des Impôts (« CGI ») définit le dispositif transfrontière comme « tout dispositif prenant la forme d’un accord, d’un montage ou d’un plan ayant ou non force exécutoire et concernant la France et un autre Etat, membre ou non de l’Union européenne » ;
Plusieurs conditions, non cumulatives, sont énoncées :
- Au moins un des participants au dispositif n’est pas fiscalement domicilié ou résident en France ou n’y a pas son siège ;
- Au moins un des participants au dispositif est fiscalement domicilié, résident ou a son siège dans plusieurs Etats ou territoires simultanément ;
- Au moins un des participants au dispositif exerce une activité dans un autre Etat ou territoire par l’intermédiaire d’un établissement stable situé dans cet Etat ou territoire, le dispositif constituant une partie ou la totalité de l’activité de cet établissement stable ;
- Au moins un des participants au dispositif exerce une activité dans un autre Etat ou territoire sans y être fiscalement domicilié ou résident ni disposer d’établissement stable dans cet Etat ou territoire ;
- Le dispositif peut entraîner des conséquences sur l’échange automatique d’informations entre Etats ou territoires ou sur l’identification des bénéficiaires effectifs.
Le BOFIP est venu également apporter des compléments pour mieux cerner la définition de ce qu’on entend par dispositif[1]. Il peut s’agir notamment de la constitution, l’acquisition ou la dissolution d’une personne morale, ou la souscription d’un instrument financier.
Quel lien entre le dispositif transfrontière et le CIR
Bien que le crédit d’impôt recherche (« CIR ») soit un dispositif français, celui-ci peut avoir des incidences en dehors du territoire de l’Union Européenne (« UE ».)
A titre d’exemple, le Ministère de l’Enseignement Supérieur de la Recherche (« MESR ») peut accorder un agrément à un sous-traitant situé en dehors du territoire français dans le cadre d’une sous-traitance. Si le droit français interdit la double valorisation d’une même dépense à la fois dans le CIR du donneur d’ordre et du sous-traitant agréé, il est possible en revanche, que le droit étranger ne l’interdise pas.
Il est également possible d’avoir une mise à disposition de salariés étrangers au sein d’une structure française qui déclare du CIR. La société française déclare les rémunérations et charges sociales dans le cadre de son propre CIR. Si l’entreprise prêteuse est établie dans un Etat où le paiement ouvre droit à une exonération fiscale totale, nous pourrions être dans un cas nécessitant une déclaration.
Une autre hypothèse étant l’acquisition (de frais) de brevets auprès d’un pays situé hors de France: une entreprise bénéficierait donc de redevances de concession ou de sous-concession tandis que l’autre pourrait amortir les frais de brevet.
La nécessité de marqueurs
L’article 1649 AD, II du CGI indique que pour être déclarable, le dispositif doit comporter au moins un des marqueurs indiqués au II de l’article 1649 AH du CGI. Le marqueur est défini par l’Administration comme une « caractéristique de planification fiscale agressive ».[2] L’article 1649 AH du CGI définit 5 catégories de marqueurs allant de A à E.
- Les catégories A et B sont donc des marqueurs généraux liés au critère de l’avantage principal.
- La catégorie C comporte les marqueurs spécifiques liés aux opérations transfrontières.
- La catégorie D concerne les marqueurs spécifiques concernant l’échange automatique d’informations et les bénéficiaires effectifs.
- La catégorie E comprend les marqueurs spécifiques concernant les prix de transfert.
La loi prévoit que non seulement le dispositif doit remplir un des marqueurs mais, que pour certains d’entre eux (A, B, C1bi, C1c et C1d), le dispositif doit également remplir le critère de ce qu’on appelle « l’avantage principal ».
Le critère de l’avantage principal, nécessaire dans certains cas, est également défini par la doctrine[3]. On considère que l’avantage fiscal existe dès lors que le dispositif permet d’obtenir un abattement, un remboursement d’impôt, un allègement ou une diminution de l’impôt, une réduction de dette fiscale, un report d’imposition ou une absence d’imposition. L’avantage est dit « principal » dès lors que la personne s’attend à retirer du dispositif un avantage fiscal. Ainsi, le dispositif transfrontière n’aurait pas été conçu de la même façon sans l’existence de cet avantage.
Quel lien entre les marqueurs, l’avantage fiscal et le CIR
Il nous semble que, dans le cadre du dispositif CIR, les marqueurs A2, C1d et 3 peuvent être concernés sans que cette liste ne soit limitative.
Marqueur A2 : « L’intermédiaire est en droit de percevoir des honoraires, intérêts ou rémunération pour financer les coûts et autres frais, pour le dispositif et ces honoraires, intérêts ou rémunération sont fixés par référence :
- Au montant de l’avantage fiscal découlant du dispositif ; ou
- Au fait qu’un avantage fiscal découle effectivement du dispositif. Cela peut inclure une obligation pour l’intermédiaire de rembourser partiellement ou entièrement les honoraires si l’avantage fiscal escompté découlant du dispositif n’a pas été complètement ou partiellement généré ».
Marqueur C1 :
« Il prévoit la déduction des paiements transfrontières effectués entre deux ou plusieurs entreprises associées et l’une au moins des conditions suivantes est remplie :
- Le bénéficiaire ne réside à des fins fiscales dans aucune juridiction fiscale ;
- Même si le bénéficiaire réside à des fins fiscales dans une juridiction, cette juridiction :
- Ne lève pas d’impôt sur les sociétés ou lève un impôt sur les sociétés à taux zéro ou presque nul ; ou
- Figure sur une liste de juridictions de pays tiers qui ont été évaluées par les Etats membres collectivement ou dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques comme étant non coopératives ;
- Le paiement bénéficie d’une exonération fiscale totale dans la juridiction où le bénéficiaire réside à des fins fiscales ;
- Le paiement bénéficie d’un régime fiscal préférentiel dans la juridiction où le bénéficiaire réside à des fins fiscales».
Marqueur A3 :
« Le dispositif dont la documentation et/ ou la structure sont en grande partie normalisées et qui est à la disposition de plus d’un contribuable concerné sans avoir besoin d’être adapté de façon importante pour être mis en œuvre ».
A titre d’exemple, le CIR permet d’obtenir un allègement d’impôt, ainsi qu’un remboursement, dès lors, l’avantage fiscal semble rempli.
Dans la mesure où quand un dispositif répond à une utilisation conforme voulue par le législateur, il n’est pas considéré comme un avantage principal fiscal, si par exemple, le droit français permettait la double valorisation des dépenses dans le CIR d’un sous-traitant ET dans celui d’un donneur d’ordre, ce marqueur ne serait pas retenu.
En l’état du droit, la double valorisation est interdite, dès lors, un sous-traitant agréé espagnol qui valorise ses dépenses de CIR en parallèle du donneur d’ordre français, qui déduirait ses factures, pourrait donc être constitutive d’une obligation déclarative.
2. Qui doit déclarer le cumul d’avantage fiscal au titre de la DAC 6
Les modalités déclaratives sont prévues à l’article 1649 AG du CGI, elles diffèrent selon qui est à l’origine de la déclaration. En cas de non-respect, l’article 1729 C ter du CGI prévoit des sanctions qui peuvent aller, hors pénalités, jusqu’à 10 000 euros par manquement (avec un plafond de 100 000 euros par année civile.)
Les déclarations doivent avoir lieu dans un délai de trente jours avec la particularité que le point de départ pour calculer le départ du délai sera différent selon un certain nombre de cas prévu par la loi dans l’article susmentionné.
L’intermédiaire
L’article 1649 AE donne la définition de l’intermédiaire. Deux catégories cohabitent :
- Les intermédiaires concepteurs : ce sont eux qui sont à l’origine du dispositif transfrontière ;
- Les intermédiaires prestataires de services : ce sont eux qui assistent pour la mise en place du dispositif transfrontière.
Ce même article précise qu’en cas de cumul d’intermédiaires participant à la mise en œuvre d’un même dispositif, l’obligation déclarative incombera à chacun d’entre eux, sauf si un des intermédiaires s’en est déjà chargé.
Attention, la doctrine est venue nuancer cette définition : toute personne ayant connaissance postérieurement à la mise en place du dispositif n’est donc pas considérée comme un intermédiaire – c’est le cas par exemple du commissaire aux comptes[4].
Conformément à l’article 1649 AG du CGI, l’intermédiaire a 30 jours pour déclarer pour le compte du contribuable dans les conditions prévues à cet article.
Le contribuable
L’article 1649 A du CGI prévoit que la déclaration se fait en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats.
La déclaration se fait sur ce site : https://inscriptionpro.impots.gouv.fr/opale_inscription/indexCreationEspace.jsp.
Une fois authentifié, le contribuable doit se connecter à l’application « Dispositif DAC6 ». Les modalités déclaratives ont fait l’objet d’un document qui explique comment réaliser simplement sa déclaration : https://www.impots.gouv.fr/sites/default/files/media/1_metier/5_international/transfrontieres/cahier_des_charges_dac6_-_v2.0.pdf .
Lorsque le contribuable a reçu notification de son obligation déclarative, il souscrit la déclaration dans un délai de 30 jours à compter du jour de la réception de cette notification.
Lien entre obligation déclarative et prestataire de conseil CIR
Si nous reprenons un des exemples plus haut, admettons que nous sommes dans un groupe de sociétés :
- Le donneur d’ordre est basé en France
- FI group accompagne le donneur d’ordre dans sa déclaration de CIR via une commission
- Le sous-traitant agréé est basé en Espagne
- FI group accompagne le sous-traitant dans ses modalités de demande d’agrément
- Le sous-traitant peut bénéficier de l’équivalent du CIR français sur les dépenses engagées dans le cadre de la sous-traitance
- Dispositif transfrontière: √
- Marqueur A2 (F.initiatives est rémunéré via commission) : √
- Marqueur C1d (double valorisation d’une dépense de R&D), le donneur d’ordre français bénéficie d’un remboursement de ses factures, le sous-traitant espagnol jouit également de la déduction de ses dépenses dans l’équivalent du CIR espagnol
- Avantage principal: le donneur d’ordre va bénéficier d’un remboursement du CIR : √
F.initiatives pourrait donc bien être considérée comme intermédiaire prestataire de services dans la mesure où tous les critères prévus plus haut seraient remplis. En cas de doute, F.initiatives vous informera afin que la réflexion puisse être collaborative et vous resterez toujours en charge de cette obligation déclarative.
[1] BOI-CF-CPF-30-40-10-10
[2]https://www.impots.gouv.fr/sites/default/files/media/1_metier/5_international/transfrontieres/fiche3_les_marqueurssjcf4a.pdf
[3] BOI-CF-CPF-30-40-10-10
[4] BOI-CPF-30-40-10-20- 20201126 n° 80
II. Pilier 2 et CIR : Quels impacts ?
En deux mots : la directive Pilier 2 du 14 décembre 2022 a été transposée dans notre droit interne via la loi de finances 2024. Cette directive instaure un taux minimal d’imposition pour les grands groupes d’entreprises. Ce taux se calcule sur une base commune à l’ensemble des Etats ou juridictions. Nous allons voir que le fait de bénéficier du CIR n’est pas anodin dans le calcul de ce taux. |
La directive européenne « Pilier 2 » a fait l’objet d’une adoption à l’unanimité le 15 décembre 2022 et a été transposée dans la loi de finances pour 2024. Il s’agit d’un dispositif fiscal autonome, ayant abouti à la création d’un nouveau chapitre dans le CGI intitulé « Imposition minimale mondiale des groupes d’entreprises et des groupes nationaux » (articles 223 VJ à 223 WZ). Des dispositions relatives aux modalités déclaratives mais également au contrôle de cette nouvelle disposition ont été intégrées.
Pour comprendre l’intégralité de ces dispositions, un article est consacré à la définition d’une cinquantaine de termes, chose peu fréquente. C’est en partie ce qui explique l’autonomie de ce dispositif par rapport au droit fiscal « interne ».
Après avoir expliqué en quoi consiste cette nouvelle mesure, nous verrons les impacts du CIR dans le calcul de ce nouveau dispositif d’imposition minimale.
1. La genèse de la mesure
L’émergence de la fiscalité internationale vise à lutter contre les pratiques d’optimisation et de fraude fiscale. Les Etats, au niveau international et européen, se sont petit à petit dotés de règles communes.
L’un des projets majeurs, lancé en 2013, porté par l’OCDE et le G20 est le projet BEPS (base erosion and profit shifting).
Il contient un plan d’action en 15 mesures notamment :
- L’échange automatique d’informations entre pays, dont l’Union Européenne est pionnière avec les DAC (directive on administrative coopération)[1];
- La limitation de la déductibilité des charges financières ;
- Une régulation des prix de transfert[2];
- Un reporting pays par pays pour les entreprises qui ont un chiffre d’affaires consolidé supérieur ou égal à 750 millions d’euros. L’Union Européenne a fait de cette dernière mesure un instrument de transparence fiscale des entreprises.
En 2016, le projet BEPS est étendu aux membres du cadre inclusif de l’OCDE[3]. Il faut attendre octobre 2021 pour que les membres du cadre inclusif scellent un accord reposant sur deux piliers :
- Le Pilier 1 : réallocation partielle du droit d’imposer entre l’Etat de siège et l’Etat source pour le « surprofit ». Cette mesure doit entrer en vigueur en 2025. C’est un dérivé de l’action 1 du plan BEPS.
- Le Pilier 2 : prévoit un taux minimal d’imposition à 15% pour les groupes ayant un chiffre d’affaires consolidé d’au moins 750 millions d’euros. Ces groupes sont normalement déjà connus puisque ce sont les mêmes qui sont soumis aux règles de reporting pays par pays.
Si les membres du cadre inclusif ne sont pas obligés d’adopter les mesures du Pilier 2 (dès lors que d’autres membres du cadre inclusif permettent de l’appliquer pour les entités sur leur territoire), l’Union Européenne a choisi de reprendre ces mesures au sein d’une directive.
C’est aujourd’hui cette directive dite « Pilier 2 », adoptée à l’unanimité en décembre 2022, qui fait l’objet d’une transposition dans la loi de Finances 2024.
2. Le champ d’application de la directive Pilier 2
Les entreprises concernées par la mesure sont les groupes, nationaux ou internationaux, dont le chiffre d’affaires dans les comptes consolidés de la mère est d’au moins 750M€ au titre d’au moins deux exercices au cours des quatre derniers exercices réalisés (article 223 VL du CGI).
Des exclusions sont néanmoins prévues par le texte. Il s’agit de :
- L’application de la règle de minimis, applicable sur option. Elle permet d’avoir un impôt complémentaire réputé nul au titre d’une juridiction dans laquelle les entités constitutives[4] présentent un CA moyen inférieur à 10M€ et une moyenne des bénéfices qualifiés nets ou des pertes qualifiées nettes inférieure à 1M€ (articles 223 WD à 223 WD quater).
- La déduction fondée sur la substance, que l’entité constitutive peut ne pas déclarer sur option. Elle conduit à exclure du calcul une part de revenu correspondant à 8% de la valeur nette des actifs corporels et à 10% de la masse salariale. Ces taux doivent descendre à 5% dans 10 ans (articles 223 W à 223 WA octies).
- Certaines activités ou organismes : le transport maritime international, les organisations internationales, les entités publiques, … (articles 223 K à 223 VL ter).
3. Les mécanismes de l’imposition minimale
L’imposition minimale de 15% peut être mise en œuvre de trois façons :
- La règle d’inclusion du revenu (articles 223 WG à 223 WI) ;
- La règle sur les bénéfices insuffisamment imposés (articles 223 WJ à 223 WK quater) ;
- L’impôt complémentaire national qualifié (article 223 WF).
Dans tous les cas, l’imposition minimale prendra la forme d’un impôt complémentaire.
Les règles d’inclusion du revenu et de l’impôt complémentaire national qualifié s’appliquent aux exercices ouverts à compter du 31 décembre 2023, et la règle sur les bénéfices insuffisamment imposés à compter des exercices ouverts à compter du 31 décembre 2024 (sauf exception).
La règle d’inclusion du revenu (RIR)
Cette mesure consiste à imposer une entité mère ultime[5] (sauf exception) à un impôt complémentaire en raison du bénéfice faiblement imposé d’une entité constitutive.
L’impôt complémentaire dont cette société est redevable est constitué de l’impôt complémentaire calculé pour elle-même et de la part de l’impôt complémentaire dû à raison d’une entité constitutive faiblement imposée.
La règle des bénéfices insuffisamment imposés (RBII)
Selon les règles de l’OCDE, elle permet en principe de refuser la déductibilité d’une charge pour un montant tel que les entités constitutives supporteront un montant d’impôt supplémentaire. La part de l’impôt complémentaire est répartie entre les entités constitutives des différentes juridictions en fonction des actifs corporels et des salariés dans cette juridiction.
La directive prévoit que les entités constitutives sont soumises à un ajustement égal au montant de l’impôt complémentaire dû au titre de la RBII. Cet ajustement peut prendre la forme d’un impôt complémentaire dû par les entités constitutives on d’un refus de déduction d’une charge.
La France retient un impôt additionnel pour l’entité constitutive et non le refus d’une déduction.
Cette règle ne s’appliquera qu’à partir du moment où la RIR ne sera pas applicable. C’est un filet de sécurité.
L’impôt complémentaire national qualifié
La France a fait le choix de mettre en place un impôt complémentaire national qualifié. Cette règle permet de conserver un droit d’imposer des bénéfices réalisés par des entités constitutives sous-imposées en France. Sans cela, l’impôt complémentaire serait prélevé par un autre Etat au titre de la RIR ou de la RBII.
Ainsi, dès lors qu’un impôt complémentaire national est mis en place, les autres Etats ne pourront pas prélever d’impôt complémentaire en application des deux autres règles.
A noter, dans tous les cas, le groupe a besoin de calculer son taux effectif d’imposition (« TEI ») afin de savoir si un impôt complémentaire sera dû.
4. Le calcul du taux effectif d’imposition
Afin de savoir si un groupe doit payer un impôt complémentaire, il doit calculer sont TEI. Si ce TEI est inférieur à 15%, dans ce cas, un impôt complémentaire sera dû.
Ce TEI est déterminé en faisant le rapport entre au numérateur la somme des montants corrigés des impôt couverts des entités constitutives situées dans un Etat ou territoire (articles 223 VS à 223 VW quater) et au dénominateur le bénéfice qualifié net de ces entités (articles 223 VN à 223 VR sexies).
Dénominateur : le bénéfice net qualifié
Le résultat qualifié d’une entité constitutive correspond à son résultat net comptable déterminé au titre de l’exercice selon la norme comptable utilisée pour déterminer les états financiers consolidés de l’EMU.
La détermination de l’assiette est donc commune à toutes les juridictions.
Ce résultat net comptable fait l’objet d’un certain nombre de retraitements afin d’aboutir au résultat qualifié. Les principaux retraitements sont les suivants :
- La comptabilisation de la charge fiscale nette ;
- La comptabilisation de la plus ou moins-value de cession de titres de portefeuille ;
- La comptabilisation des gains et pertes de change asymétriques, des paiements illégaux, des erreurs de traitement comptables ;
- L’intégration au résultat des crédits d’impôt dits « qualifiés » ;
- L’exclusion des dividendes issus de titres détenus à long terme ;
- L’exclusion des plus ou moins-values correspondant à des variations de la valeur d’un titre de participations, ou de la cession de titres (hors titres de portefeuille).
Numérateur : les impôts couverts
Une fois le résultat qualifié déterminé, il faut ensuite déterminer le montant des impôts couverts des mêmes entités.
Les impôts couverts à prendre en compte recouvrent quatre typologies d’impôts :
- Les impôts comptabilisés dans les états financiers dus au titre des bénéfices ou de sa part dans les bénéfices qui lui est attribuée à raison d’une participation dans une autre entité. En France, il s’agit principalement de l’impôt sur les sociétés, y compris la quote-part de résultat d’une société de personnes ;
- Les impôts sur les bénéfices distribués ou réputés distribués ;
- Les impôts équivalents perçus en lieu et place de l’impôt sur les bénéfices des sociétés ;
- Les impôts prélevés sur les bénéfices non distribués et sur les fonds propres.
Ce montant d’impôt couvert fait ensuite l’objet de corrections. Elles vont consister à minorer ou majorer ce montant en fonction de certaines impositions, de certains actifs d’impôt différés ou de certains crédits d’impôt.
Quatre corrections viennent augmenter le montant des impôts couverts :
- Les impôts couverts comptabilisés en charges pour la détermination du résultat avant impôt dans les états financiers ;
- Les actifs d’impôts différés au titre d’une perte qualifiée nette conformément à l’article 223 VV bis du CGI ;
- Les impôts couverts se rapportant à une position fiscale incertaine, précédemment exclus du montant des impôts couverts ;
- Les crédits d’impôt qualifiés comptabilisés en diminution de la charge d’impôt exigible.
Les corrections venant diminuer le montant des impôts couverts sont les suivantes :
- La charge d’impôt afférente à des éléments exclus du résultat qualifié ;
- Les crédits d’impôt non qualifiés non comptabilisés comme une réduction de la charge d’impôt exigible ;
- Les impôts couverts ayant fait l’objet d’un remboursement ou d’un crédit, à l’exception des crédits d’impôts qualifiés, non comptabilisés comme une réduction de la charge d’impôt exigible ;
- La charge d’impôt exigible se rapportant à une position fiscale incertaine ;
- La charge d’impôt exigible qui n’a pas vocation à être acquittée dans les trois années suivant la fin de l’exercice.
La détermination du TEI
Articles 223 VY à 223 VZ nonies.
La détermination du TEI s’effectue sur une base annuelle et juridictionnelle. Ainsi, le calcul n’est pas fait pour chaque entité constitutive.
Des mesures transitoires permettront à un groupe de ne pas avoir à calculer un TEI dès lors qu’il satisfait à l’un des trois tests :
- Le test de minimis : il repose sur deux conditions cumulatives. La somme des chiffres d’affaires des entités constitutives d’une juridiction est inférieure à 10M€ et la somme des bénéfices et des pertes de ces entités avant impôt sur les bénéfices est négative ou inférieure à un million d’euros ;
- Le test de taux effectif d’imposition simplifié : ce taux calculé au niveau de l’ensemble des entités constitutives d’une juridiction et doit être égal ou supérieur au taux minimal d’imposition transitoire. Ce taux est fixé à 15% pour les exercices ouverts au 31 décembre 2023.
- Le test du profit de routine : la sommes des bénéfices et des pertes des entités constitutives avant impôt sur les bénéfices reports dans la déclaration définie à l’article 223 VZ est inférieure au montant de la déduction fondée sur la substance de ces mêmes entités.
Ces dispositions transitoires s’appliquent aux exercices ouverts au plus tard le 31 décembre 2026 et clos au plus tard le 30 juin 2028.
5. L’impact du CIR dans le calcul du TEI
Comme nous venons de le voir, le calcul du TEI se fait en prenant en compte d’une part le résultat qualifié et d’autre part le montant des impôts couverts. Ces deux données font l’objet de correctif pour le crédit d’impôt.
Une distinction est faite entre crédit d’impôt qualifié et non qualifié. Un crédit d’impôt est considéré comme qualifié s’il ouvre droit, au bénéfice de l’entité constitutive, au remboursement en trésorerie dans un délai de 4 ans à compter de la date à laquelle ladite entité est en droit d’en bénéficier en application de la législation qui l’accorde. S’il n’est remboursable qu’en partie, seule la fraction remboursable répond à cette qualification (article 223 VK).
A l’inverse, le crédit d’impôt est non qualifié s’il n’est pas remboursable dans un délai de 4 ans ainsi que les avantages en impôt non remboursable. Il va venir en diminution des impôts couverts.
Il convient donc de se demander si le CIR est un crédit d’impôt qualifié ou non pour réellement savoir quel impact il aura dans le calcul du TEI. Le CIR est un crédit d’impôt dont on peut obtenir remboursement dans un délai de 4 ans, puisqu’il ouvre droit à remboursement immédiat dans certains cas, et sinon, après trois ans d’imputation d’IS.
Dès lors, on peut en conclure que le CIR est bien un crédit d’impôt qualifié. Comme indiqué ci-avant, en tant que crédit d’impôt qualifié, il va permettre de venir majorer le résultat de l’entreprise lors des retraitements et non de minorer le montant des impôts couverts.
Ainsi, la qualification du crédit d’impôt qualifié ou non qualifié va être un élément déterminant pour faire entrer une entreprise dans le champ d’application de l’imposition minimale.
6. Une disposition autonome encadrée par des règles propres
La transposition en interne de la directive « Pilier 2 » s’est également accompagnée de mesures particulières concernant les obligations déclaratives, mais également les sanctions et le contrôle.
Les obligations déclaratives
L’entité constitutive située en France d’un groupe entrant dans le champ d’application de la disposition devra indiquer à l’Administration dans sa déclaration de résultat son appartenance à un tel groupe. Elle doit indiquer l’identité de l’EMU et de l’entité qui dépose la déclaration d’informations ainsi que l’Etat ou le territoire dans lequel elles sont situées (article 223 WW).
La déclaration d’informations au titre de l’impôt complémentaire devra être déposée dans un délai de 15 mois suivant la clôture de l’exercice. Ce délai est porté à 18 mois au titre du premier exercice au cours duquel le groupe ou l’entité constitutive entre pour la première fois dans le champ de l’impôt complémentaire (article 223 WW et 223 WW bis).
Les sanctions et le contrôle
Selon l’article 1729 F bis du CGI, sont passibles d’une amende :
- D’un montant de 100 000€ le défaut de souscription ou le retard dans le dépôt de la déclaration d’informations ou du relevé de liquidation prévus à l’article 223 WW du CGI ;
- D’un montant total ne pouvant excéder 50 000€ par déclaration pour l’ensemble des autres manquements aux obligations déclaratives prévues à l’article 223 WW du CGI.
Un nouveau délai de reprise est instauré par l’article L172 I du LPF. Le droit de reprise de l’Administration s’exerce jusqu’à la fin de la 5ème année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due.
Ce délai rallongé s’explique de plusieurs façons. Il se justifie entre autres par le délai de dépôt de la déclaration d’informations relative à l’impôt complémentaire de 15 mois, voire 18 mois. Enfin, le rapport de la commission des finances du Sénat[6] souligne la complexité du mécanisme nécessitant des agents spécifiquement formés et une nécessaire coordination avec les administrations fiscales des autres Etats.
7. En conclusion
Les règles du Pilier 2 constituent une avancée majeure en matière de fiscalité internationale dans la lutte contre la localisation artificielle des bénéfices dans les paradis fiscaux. De plus, cette mise en œuvre semble cohérente au niveau mondial. Les principales juridictions (hors Etats-Unis et Chine) mettent en place ce dispositif.
Cependant, la commission des finances du Sénat souligne que selon le critère du chiffre d’affaires, 574 redevables de l’IS se trouveraient dans le champ d’application du pilier 2, mais que la prise en compte du niveau réel d’imposition et de la déduction fondée sur la substance conduirait à n’imposer que 42 redevables.
Enfin, la commission souligne l’importance des crédits d’impôt et notamment du CIR. Le fait de prendre en compte le montant des crédits d’impôt qualifiés comme des subventions et non comme des minorations de l’impôt payé par l’entreprise va venir augmenter le montant de TEI des entreprises. Selon des estimations réalisées par la commission à partir des liasses 2019 des entreprises, la qualification du CIR pourrait avoir un impact important. En prenant en compte les 100 entreprises bénéficiant du montant de CIR les plus importants payant environ 30 millions d’euros d’IS et percevant en moyenne 28 millions d’euros de CIR (soit un impôt avant CIR de 58 millions d’euros), le TEI moyen passerait de 14% à 24%.
Le bénéfice du CIR s’avère de ce fait être un avantage indéniable pour les entreprises entrant dans le champ d’application des règles du Pilier 2.
[1] La DAC 6 fait d’ailleurs l’objet d’une note réalisée par la Direction des Affaires Juridiques et Fiscales de F.initiatives au sein de cette même newsletter
[2] La directive prix de transfert a été analysée par notre cabinet d’avocat partenaire EVERLAW de INITIATIVE NETWORK
[3] Le cadre inclusif rassemble plus de 125 pays et juridictions qui collaborent à la mise en œuvre des mesures issues du Projet BEPS. Ces pays ne doivent pas forcément être membre de l’OCDE tant qu’ils s’engagent à mettre en œuvre l’ensemble des mesures issues du Projet BEPS de manière cohérente, et à verser une cotisation annuelle due par les Associés au Projet BEPS.
[4] Le terme entité est à prendre au sens large : personne morale mais aussi partnership ou trust. L’entité constitutive est une structure qui appartient à un groupe.
[5] EMU : entité qui détient directement ou indirectement une participation conférant le contrôle dans une entité constitutive et qui n’est pas elle-même détenue dans les mêmes conditions.
[6] l23-128-211.pdf (senat.fr)
III. Directive prix de transfert : Nouveautés et Conséquences
La récente proposition de directive sur les prix de transfert, émise par la Commission Européenne, pourrait impliquer des répercussions significatives pour les entreprises opérant dans l’Union Européenne.
Pour rappel, les prix de transfert concernent les prix d’opérations pratiqués entre des entreprises associées établies dans différents pays pour leurs transactions intragroupe, telles que le transfert de marchandises ou de services.
Cette directive vise à harmoniser les pratiques en matière de prix de transfert ; à intégrer les Principes de l’OCDE au sein de l’ordre normatif du droit de l’Union, notamment le principe de pleine concurrence (articles 1à 4), la définition précise des transactions réelles (article 8), l’intégration des 5 méthodes de détermination des prix de transfert et la détermination de la méthode la plus appropriée (articles 9 et 10). Le projet de directive prévoit également d’établir des règles communes contraignantes dans la pratique des prix de transfert au sein de l’Union européenne.
Cette directive devrait vraisemblablement s’appliquer dès le 1er janvier 2026 aux entreprises établies ou imposables au sein de l’Union européenne à l’exception des opérations à l’intérieur d’un même état (articles 2 et 4).
Nous souhaitons attirer l’attention dans le présent article sur les trois principaux dispositifs qui auront des conséquences significatives sur la pratique actuelle des prix de transfert au sein des groupes.
Une nouvelle définition des entreprises associées (article 5)
Le projet de directive prévoit d’établir certains critères permettant de qualifier deux entreprises d’associées.
La proposition de directive définit notamment les entreprises associées en retenant le seuil de détention de 25 % dans les droits de vote, le capital ou le bénéfice d’une entité afin d’établir un lien de dépendance.
Cette mesure contraste avec la doctrine administrative française qui fixe actuellement ce seuil à 50 %. En effet, la doctrine pose comme principe que deux entreprises sont liées « lorsque l’une détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social de l’autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision »[1].
Cette modification pourrait avoir deux conséquences majeures dans la pratique des prix de transfert :
- un accroissement significatif du nombre d’entreprises soumises à l’obligation le documentaires en matière de prix de transfert prévue par l’article L13 AA du LPF [2];
- une diminution du nombre de comparables dans la mise en place de benchmark. En effet, l’abaissement du seuil de 50% à 25% du capital des entreprises dépendantes augmentera, de facto, le nombre d’entreprises dépendantes et, a fortiori, abaissera le nombre d’entreprises indépendantes permettant d’établir des benchmark.
La création d’une procédure accélérée d’élimination des doubles impositions (articles 6)
L’article 6 de la proposition de directive prévoit une méthode accélérée pour corriger les impositions asymétriques en cas de double imposition entre États membres lorsqu’un ajustement primaire[3] est opéré, garantissant ainsi une résolution rapide des problèmes.
Plus précisément, lorsqu’une administration fiscale d’un État membre augmente la base imposable d’une entité dans cet État, cela a pour effet d’entraîner corrélativement une double imposition. Pour résoudre cette situation, une entreprise pourra actionner une procédure dite “fast-track” qui permettra de corriger symétriquement, au niveau de l’autre Etat, l’imposition dans un délai de 180 jours. Néanmoins, cette procédure est conditionnée à la reconnaissance par l’autre Etat de la juste réévaluation de la base imposable.
Il est important de souligner que cette procédure est indépendante et ne relève ni des procédures des conventions fiscales internationales, ni de la Convention Européenne d’Arbitrage de 1990.
Cette mesure renforce la sécurité juridique des entreprises, dans un contexte de contrôle fiscal toujours plus recentré sur la pratique des prix de transfert[4] et dans un contexte où, d’expérience, l’élimination des doubles impositions demande actuellement beaucoup de patience !
La détermination contraignante de l’intervalle de pleine concurrence (article 12)
Alors que les Principes de l’OCDE sont moins directifs à ce sujet, le projet de directive impose l’usage de l’intervalle interquartile comme constituant un intervalle de pleine concurrence. Dans le cas où les parties testées se situent au sein de l’intervalle interquartile, aucun redressement ne pourrait intervenir, à moins que ne soit justifié l’utilisation d’un point différent.
A contrario, lorsque les résultats de la partie testée se trouvent en dehors de l’intervalle interquartile, le redressement devrait normalement se placer au niveau de la médiane de cet intervalle, à moins qu’une autre valeur de l’intervalle plus appropriée ne soit justifiée. Cette disposition introduit, pour échapper à la médiane, un renversement de la charge de la preuve. En outre, on peut s’interroger sur l’utilisation systématique de la médiane en cas de redressement plutôt que des bornes de l’intervalle.
En conclusion, alors que la directive sur les prix de transfert vise à harmoniser les pratiques fiscales au sein de l’UE, elle soulève également des défis en matière de conformité et de coordination avec les réglementations nationales.
Si la proposition de directive Prix de transfert de l’Union européenne ne fait pas référence à la R&D&I et implique toutes les entreprises ayant des opérations transfrontalières avec des entités liées, celles-ci doivent se préparer à ces changements et évaluer leur impact sur leurs pratiques de prix de transfert.
Du fait de l’applicabilité directe du droit de l’Union, contrairement aux règles de l’OCDE, les marges de manœuvre, a posteriori, seront bien plus faibles. Une collaboration étroite avec des conseillers fiscaux et juridiques qualifiés sera donc essentielle pour naviguer dans ce nouvel environnement réglementaire complexe.
[1] Article 39, 12° du CGI ; BOI-BIC-BASE-80-10-40-18072018, n°60
[2] A noter que cette nouvelle extension s’ajoute à celle issue de la loi de finances 2024 qui a abaissé les seuils des entreprises soumises à l’obligation documentaire de 400 millions à 150 millions d’euros de chiffre d’affaires ou d’actif brut.
[3] Procédure de réévaluation de la base taxable d’une entité d’un état par l’administration fiscale de cet état.
[4] En 2021, les caisses de l’État ont enregistré une augmentation significative de 37 %, avec 10,7 milliards d’euros entrés, dans le cadre des contrôles fiscaux relatifs au prix de transfert ; contre 7,8 milliards d’euros récoltés en 2020
IV. Analyse de Jurisprudence : Traitement fiscal des sanctions judiciaires – Conseil d’Etat
Cette décision du Conseil d’État clarifie le traitement fiscal en France des “punitive damages» versés aux États-Unis.
Les faits :
La société Ratier-Figea, membre du groupe fiscalement intégré dont la société mère United Technologies est basée en France, avait un litige commercial avec une société tierce américaine Ice Corporation.
Dans le cadre de ce litige, la société a été condamnée par le tribunal fédéral du Kansas à verser des dommages intérêts punitifs[1] à la société Ice Corporation dans le cadre d’un litige qui les opposait.
La société française a considéré que ces dommages-intérêts versés dans le cadre d’un litige commercial étaient déductibles de son résultat imposable.
L’Administration fiscale a considéré que ces indemnités étaient assimilables à une sanction pécuniaire non déductible du résultat fiscal au sens de l’article 39 du CGI.
L’Administration a formé un pourvoi en cassation auprès du Conseil d’Etat
La société a introduit un recours auprès du TA de Montreuil qui a fait droit à sa demande. L’Administration a interjeté appel à ce jugement, toutefois, la CAA de Versailles a confirmé le principe selon lequel ces « punitive damage » devaient être considérés comme un complément d’indemnité accordé à la victime et non une sanction pécuniaire.
Exposé des moyens :
- La société française a considéré que ces dommages-intérêts versés dans le cadre d’un litige commercial étaient déductibles de son résultat imposable et ne relevait pas du 2 de l’article 39 du CGI.
- L’Administration fiscale a considéré que ces indemnités étaient assimilables à une sanction pécuniaire non déductible du résultat fiscal au sens de l’article 39 du CGI.
Exposé de la solution :
Le Conseil d’Etat casse l’arrêt de la CAA de Versailles qui s’était fondée sur la circonstance que les « punitive damage » avaient été prononcés et versés à la victime dans le cadre d’un litige commercial pour la satisfaction d’intérêts privés.
Pour juger que les indemnités versées par une société française à titre de “punitive damages”, en exécution d’une décision de justice américaine portant sur un litige commercial privé, doivent être assimilées à des sanctions pécuniaires, le Conseil d’État a procédé au rappel de l’article 39 du CGI qui prévoit que
- Le ” bénéfice net d’une entreprise est établi sous déduction de toutes charges “, notamment celle des ” frais généraux de toute nature “
- Et précise en son alinéa 2 que les sanctions pécuniaires et pénalités de toute nature mises à la charge des contrevenants à des obligations légales ne sont pas admises en déduction des bénéfices soumis à l’impôt “.
Le Conseil d’Etat relève par ailleurs qu’au cas particulier du litige tranché au Kansas, les dommages-intérêts punitifs prononcés par la juridiction américaine avaient pour but de dissuader la société française[2] de réitérer les mêmes faits et s’ajoutaient aux dommages-intérêts compensatoires versés par ailleurs pour réparer le préjudice subi, ce qui leur conférait le caractère d’une sanction pécuniaire au sens du 2 de l’article 39 du CGI.
Impact FI GROUP :
- Les indemnités versées par une société française à titre de “punitive damages” dans le cadre d’un litige commercial privé doivent être assimilées à des sanctions pécuniaires visées à l’article 39 du CGI
- Les indemnités versées par une société française à titre de “punitive damages” en exécution d’une décision de justice américaine doivent être assimilées à des sanctions pécuniaires visées à l’article 39 du CGI
- Est ainsi non déductible du résultat fiscal : toute somme d’argent mise à la charge d’un contribuable qui a méconnu une obligation légale et ce même s’il s’agit d’une sanction pécuniaire prononcée par une autorité étrangère en raison de la méconnaissance d’une obligation légale étrangère, aux fins de prévention et de répression.
[1] dits « punitive damages »
[2] À l’origine du dommage
V. Analyse de Jurisprudence : Règle de cumul de sanctions fiscales et pénales – Conseil d’État
Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 05/02/2024, 472284, M. A.
Cette décision du Conseil d’État évoque les règles de procédure fiscale notamment la régularité des mises en demeure adressées par les services fiscaux et les règles de cumul des sanctions fiscales et pénales en cas d’omission déclarative.
Les faits :
Dans cette affaire, les contribuables[1] n’avaient pas déposé de déclaration d’ensemble de leurs revenus pour les années 2009, 2010 et 2011 dans les trente jours suivant la réception d’une mise en demeure adressée par l’Administration fiscale. Ils soutenaient que la mise en demeure mentionnait une date limite de déclaration correspondant à la date limite de déclaration des bénéfices industriels et commerciaux et non celle du revenu global des trois années concernées.
Ils avaient également dissimulé volontairement des informations dans leur déclaration de TVA et d’impôt sur le revenu.
Les juridictions pénales avaient reconnu l’un des deux contribuables coupables de fraude fiscale : la Cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion l’a condamné à quatre ans d’emprisonnement, dont trois ans avec sursis, cinq ans d’exclusion des marchés publics, cinq ans d’interdiction des droits civiques ainsi qu’à une peine de confiscation. La Cour de cassation a confirmé cette condamnation prononcée par la Cour d’appel.
En parallèle de cette procédure pénale, ils avaient fait l’objet d’une imposition supplémentaire assortie de pénalités dont une majoration de 40 % pour manœuvres frauduleuses par l’Administration fiscale.
Afin d’annuler cette décision de l’Administration, ils ont formé un recours devant le TA de La Réunion.
Le TA[2] n’ayant pas accueilli leur demande, ils ont interjeté appel devant la CAA de Bordeaux. Cette dernière avait partiellement accepté leur demande sans pour autant vérifier si le principe de proportionnalité des peines avait été respecté ou non.
C’est ce qui a conduit les contribuables a formé un pourvoir en cassation auprès du Conseil d’Etat.
En deux mots :
- Un des deux contribuables avait donc été condamné pénalement pour fraude fiscale
- Les deux contribuables ont été condamnés pour manœuvre frauduleuse (majoration de 40%)
Exposé des moyens :
- Les contribuables indiquaient que la mise en demeure pour les déclarations de revenu global était irrégulière car la date limite de déclaration était erronée : la date limite qui y figurait était celle de la déclaration des bénéfices industriels et commerciaux et non celle de la déclaration de revenu global.
- Les contribuables faisaient également valoir le non-respect du principe de proportionnalité des peines et de la règle du non bis in idem[3] en soutenant que la pénalité de majoration de 40% appliquée au redressement des impôts sur le revenu ne pouvait être prononcée dès lors qu’ils avaient fait l’objet de condamnation pour fraude fiscale assortie de différentes sanctions devant le juge pénal.
- A ce titre, ils ont invoqué d’une part, la réserve d’interprétation du point 3 de la décision du Conseil Constitutionnel (CC) n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018[4] portant sur l’application des pénalités fiscales pour omission déclarative et sanctions pénales pour fraude fiscale.
En effet, dans cette décision le CC avait jugé que le montant global des sanctions prononcées à un contribuable qui fait l’objet pour les mêmes faits, de sanctions fiscales pour omission déclarative[5] et de sanctions pénales[6], ne pouvait excéder le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues.
- Et d’autre part, les contribuables ont invoqué les termes de l’article 4, paragraphe 1, du protocole n° 7 de la CESDH[7] qui prévoit que ” Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat “.
- L’Administration fiscale confirmée par les juridictions administratives considérait que cette demande ne pouvait donner droit à la décharge des impositions et pénalités.
Exposé de la solution :
Les juges du Conseil d’Etat ont admis le pourvoi des contribuables en relevant que les juges du fond notamment ceux de la CAA avait entaché l’arrêt d’irrégularité en s’abstenant de vérifier que les peines prononcées au niveau fiscal et pénal respectaient le principe de proportionnalité des peines.
Dans ce cadre, le Conseil d’Etat a ainsi décidé de juger en droit et en faits c’est-à-dire dans les mêmes conditions que la CAA aurait dû juger l’affaire[8].
1° Concernant l’irrégularité de la mise en demeure adressée par l’Administration :
Le Conseil d’Etat a confirmé que quand bien même une mise en demeure indiquerait une date limite de déclaration erronée, elle reste régulière dès lors que son objet est précis et identifiable et notamment dès qu’elle mentionne expressément la déclaration à laquelle elle est relative ainsi que les années qui sont concernées.
Selon les juges du Conseil d’Etat, la mention d’une date limite de déclaration erronée doit être regardée dans ce cadre comme étant une simple erreur de plume dépourvue d’incidence sur la régularité de cette mise en demeure.
2° Concernant le cumul des sanctions fiscales et pénales ainsi que le principe de proportionnalité de peines :
Pour le Conseil d’Etat, la majoration de 40 % avait une nature différente des peines prononcées par le juge pénal ce qui impliquait que le cumul de ces deux sanctions n’entravait pas le principe de proportionnalité des peines.
Au cas particulier, le Conseil d’Etat a relevé que le contribuable qui avait été condamné pour un concours d’infractions de fraude fiscale, notamment pour s’être soustrait frauduleusement à l’établissement et au paiement de la TVA[9] dans le cadre de son entreprise individuelle, et non à raison des seuls faits pour lesquels les cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu mises à la charge de son foyer fiscal ont été assorties de la majoration de 40 % prévue au b du 1 de l’article 1728 du CGI.
Par ailleurs, les juges du Conseil d’Etat ont considéré que la règle ” non bis in idem “, résultant de la CESDH ne peut être invoquée que pour ” les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale “, et n’interdit donc pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux décisions définitives prononcées par le juge répressif.
Impact FI GROUP :
- Cette décision démontre que l’absence de dépôt des déclarations de revenus dans les délais impartis peut entrainer des conséquences pécuniaires importantes notamment des pénalités de retard
- Les mises en demeures adressées par l’Administration fiscale sont régulières dès lors que leur objet est précis et clair. A titre d’exemple, dès lors qu’elles mentionnent clairement les années d’imposition concernée ainsi que l’intitulé de la déclaration concernée
- L’inscription d’une date limite de déclaration erronée dans un courrier de mise en demeure n’entraine pas l’irrégularité de la procédure
- La règle du non bis in idem telle que prévue par la CESDH valable devant les juridictions pénales françaises ne peut être invoquée devant les juridictions administratives françaises et n’interdit pas le cumul des sanctions pénales et fiscales
- La réserve d’interprétation du Conseil Constitutionnel peut être invoquée par les contribuables en présence d’un cumul de sanctions pénales et fiscales de même nature et prononcées à raison des faits identiques
- En présence d’un tel cumul[10], les contribuables peuvent demander au juge administratif[11] de réduire la sanction fiscale prononcée à leur encontre lorsque le montant de cette sanction cumulé avec celui de la sanction pénale est excessive conformément à la réserve d’interprétation du Conseil Constitutionnel
[1] M. A et Mme B conjoints pacsés
[2] Tribunal Administratif
[3] Locution latine et principe de procédure pénale signifiant « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits ».
[4] Réserve d’interprétation du Conseil Constitutionnel
[5] Prévues par les dispositions du 1 de l’article 1728 du code général des impôts (CGI)
[6] Sur le fondement des dispositions de l’article 1741 du CGI
[7] Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
[8] Selon l’article L821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’État peut, de lui-même ou sur l’invitation des parties, « régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie ». Dans ce cas, il statue dans les mêmes conditions que la juridiction à laquelle il aurait pu renvoyer le litige.
[9] taxe sur la valeur ajoutée
[10] Cumul de sanctions pénales et fiscales de même nature et prononcées à raison des faits identiques
[11] Juge de l’impôt
VI. La JuriCIR F.initiatives : le podcast juridique
Retrouvez l’analyse et le décryptage des décisions de justice concernant le financement public de l’innovation par les experts de la Direction Juridique et Fiscale F.initiatives.
Au programme :
- Les Subventions et le CIR
- Le CICo
- Le Projet de loi de finances (PLF) 2024
- Le Crédit d’Impôt Investissement Industrie Verte (C3IV)
- La Mise à Disposition (MAD)
Nos podcasts sont disponibles sur ces différentes plateformes de streaming ici :